... franco-allemandes, on entend souvent un mot allemand dans une phrase française (et vice versa). Ce mot sans équivalent n’existe pas dans la langue que l’on est en train de parler, car il reflète une représentation du monde ou une réalité qui y est absente. En allemand, il s’agit souvent de mots composés qui décrivent très concrètement ce qu’ils désignent.
Ainsi, les écoliers allemands ont plus de facilités dans les matières scientifiques que les petits Français, confrontés à des termes techniques empruntés au latin et au grec. Le mot Mutterkuchen, par exemple, (« placenta » en français) est une magnifique métaphore, très explicite. Voici une liste de termes allemands quasiment intraduisibles.
altklug:
(« intelligent comme un vieux ») trop mûr pour son âge.
Aussteiger:
Siddharta, dont Hesse décrit la vie dans Eine indische Dichtung (1922) ou Thoreau, qui dans Walden (1854) raconte ses années passées dans les bois, furent les premiers Aussteiger. Très présent dans les années 1960, ce terme se traduit de diverses manières. S’il s’agit d’une personne qui rompt avec le système pour changer totalement de vie et aller, par exemple, élever des moutons au Larzac, on parlera d’un « marginal ». Aujourd’hui, on parle aussi des « rebelles » ou des « insoumis ». Le terme « repenti » désignera une personne ayant quitté la scène de l’extrême droite. Et pour un élève qui ne veut plus aller à l’école, on parlera de « décrochage scolaire ».
bedeutungsschwanger:
(« enceinte de signification »), qui prétend avoir un sens profond, prétentieux.
betriebsblind:
(« aveuglé par son entreprise »), prisonnier de sa routine, incapable d’autocritique.
mir blüht etwas:
(« quelque chose me fleurit »), il va m’arriver des ennuis.
Filmriss:
(« déchirure du film »), sorte de black-out dû au stress ou à l’ivresse.
fremdeln:
(surtout pour un bébé), avoir peur des inconnus.
Futterneid:
(« jalousie de nourriture »), peur d’en avoir moins que les autres.
gemütlich: douillet, confortable, convivial, sympathique.
hemdsärmelig:
(« en manches de chemise »), (trop) décontracté.
FILMRISS
hitzefrei haben:
(« avoir du temps libre pour cause de chaleur »), ne pas devoir aller à l’école quand il fait trop chaud.
Knicks: révérence, pour les femmes. Dans La Traversée des fleuves, Georges-Arthur Goldschmidt explique la différence entre le Knicks, la révérence des dames, et le Bückling, celle des messieurs. Le Bückling était « cette manière de saluer en s’inclinant aussi bas que possible, enseignée aux petits garçons dès l’âge de 3 ans. Elle marquait de façon presque irréversible les différences hiérarchiques […] dans l’Allemagne de la fin du XIX e siècle. Les petites filles, elles, exécutaient leur Knicks en fléchissant genoux et chevilles, pour disparaître verticalement et réapparaître ensuite. Cette marque de respect s’est conservée jusqu’en 1968. »
menscheln: se montrer dans toute son humanité avec ses forces et faiblesses. Ce mot est apparu au début du XIX e siècle.
jemanden mundtot machen:
(rendre quelqu’un « mort de bouche »), condamner quelqu’un au silence.
Pusteblume:
(« fleur à souffler »), la fleur de pissenlit mature, boule blanche qui laisse s’envoler des petits « parachutes », a beau être sur la couverture du dictionnaire Le Petit Larousse, son nom en français, « akène à aigrettes », est loin de participer au plaisir naïf des enfants qui soufflent dessus pour la semer à tout vent.
Rufmord:
(« assassinat de réputation »), atteinte calomnieuse à la réputation de quelqu’un, diffamation.
Schadenfreude:
(« joie du dommage »), malin plaisir consistant à se réjouir du malheur d’autrui.
Schanigarten:
(« jardin de Schani »), mot d’origine viennoise apparu récemment en Allemagne, avec le Covid-19. C’est un espace réservé devant ou à l’arrière d’un café, équipé de tables et de chaises. L’origine présumée du mot est amusante : les serveurs autrichiens s’appelant souvent Johann et le français étant une langue à la mode, on les appelait « Jean » (ou « Janni »). Un Schani était donc l’employé qui sortait ou rentrait les chaises du jardin. Cet été, du fait des contraintes sanitaires, l’on a vu des Schanigärten un peu partout en Europe.
Schlafzimmerblick:
(« regard de chambre à coucher »), regard érotique comme le cultivait Marilyn Monroe.
Schultüte:
(« pochette d’école »), surprise remplie de sucreries et autres bonbons que les parents offrent à leurs enfants en Allemagne pour le premier jour d’école, lorsqu’ils ont 6 ans. En France, les enfants entrant à l’école maternelle dès l’âge de 2 ans, cette séparation tardive n’est pas du tout célébrée.
schreckhaft:
(vraiment sans traduction), ce mot ne veut dire ni craintif, ni peureux, ni effrayé, mais décrit le comportement momentané d’une personne (nerveuse ou émotive) qui sursaute ou crie quand on la dérange dans ses pensées. Par exemple, si vous lui tapotez sur l’épaule pour la saluer alors qu’elle est devant vous à la caisse du supermarché, elle risque de pousser un cri strident qui va alors stupéfier les clients…
schwarzfahren:
(« voyager au noir »), voyager sans billet dans les transports publics
Tapetenwechsel:
(« changement de papier peint »), changer d’air, de décor.
verschlimmbessern:
rendre pire en voulant mieux faire.
Vorfreude:
(« pré-joie »), joie anticipée.
Vorführeffekt:
(« effet de démonstration »), ce mot décrit un phénomène inexplicable qui n’est pas réservé aux germanophones… Exemple : vous avez un souci d’ordinateur et lorsque vous montrez la panne à votre informaticien, tout fonctionne. Cela peut même arriver à un prestidigitateur expérimenté qui, au moment de présenter au public un tour de magie qu’il maîtrise parfaitement, constate que… rien ne va plus.
Waldsterben:
(« mort des forêts »). Une traduction inexistante peut refléter un phénomène sociopolitique. Dans les années 1980, les Français, considérant que ce phénomène ne traversait pas la frontière, parlaient encore de Waldsterben et refusaient de traduire ce mot utilisé par les écologistes allemands. Le terme « mort des forêts » n’est arrivé que plus tard, lors de la montée en puissance du mouvement écologiste en France, qui a alors pris plus largement conscience du phénomène.
Zeitgeist:
(« esprit du temps »), esprit du siècle, de l’époque, air du temps
Weltanschauung: conception, vision du monde.
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