... d’un accident majeur aux conséquences catastrophiques, le pays doit-il prendre la décision de sortir définitivement du nucléaire?
Alors qu’en 1978 en Allemagne, l’humoriste Loriot se moquait déjà du nucléaire avec son jeu« Wir bauen uns ein Atomkraftwerk » , les Français, eux, exaltaient dans des publicités la fierté d’avoir une énergie presque entièrement nucléaire, vantant la guitare nucléaire ou le petit train nucléaire. Il faut s’imaginer la scène: un enfant joue au petit train et dit à sa mère qu’il possède un train nucléaire. La mère, étonnée, lui répond que non, il s’agit d’un train électrique, avant qu’une voix les interrompe et annonce que l’enfant a raison, car près de 72 % de l’énergie électrique en France provient du nucléaire.
Cette anecdote résume tout. Le nucléaire comme problème est assez nouveau pour les Français, car il leur a toujours été présenté comme la solution. Il fait partie de leur quotidien.
En effet, le pays entier a fait le choix du nucléaire sous l’impulsion d’un homme: Charles de Gaulle. Nous sommes en pleine guerre froide, la France souhaite retrouver son rang de Nation de premier plan, et le général de Gaulle, alors président, engage le pays dans le développement d’un programme nucléaire ambitieux. Le 28 septembre 1956 est lancée la pile atomique de Marcoule dans le Gard. De Gaulle clame alors: « C’est ici le germe de la puissance d’un pays dans l’ordre industriel comme dans l’ordre militaire ».
L’autre date importante dans l’histoire du nucléaire civil français est le choc pétrolier de 1973. La France pense trouver dans l’atome le moyen de diminuer sa dépendance au pétrole et ainsi assurer son autonomie. L’État accélère la cadence: de cinq centrales construites dans les années 1970 on passe à 43 dans les années 1980. Donc, volonté de puissance en tant que Nation et indépendance énergétique sont les deux clés pour comprendre pourquoi le nucléaire a pris une telle place en France.
Foto: Gavin Newman/Alamy Stock Photo
Optimisme aveuglant
Il faut bien se rendre compte que le nucléaire représente une fierté industrielle dans l’Hexagone, un peu au même titre que les voitures pour les Allemands. Que ce soit au niveau militaire ou civil, il contribue au prestige de la France qui peut se « vanter » de faire partie du club très fermé des « puissances nucléaires ».
Très peu de politiques français s’affichent radicalement anti-nucléaire. Tout d’abord car le nucléaire représente beaucoup d’emplois et est un atout pour l’économie et la recherche. La France exporte ainsi beaucoup de cette énergie à ses voisins. Ensuite, alors que les gaz à effet de serre et le changement climatique sont au coeur de toutes les préoccupations, l’énergie nucléaire offre une énergie qui émet très peu de gaz carbonique: un réacteur en fonctionnement ne rejette aucun CO2 mais principalement de la vapeur d’eau. Seuls la construction et le démantèlement d’une centrale en émettent. En plus, le nucléaire est une énergie très productive. Et elle utilise de l’uranium que l’on peut trouver en assez grande quantité.
Mais toutes ces centrales nucléaires produisent des déchets dont le nombre ne cesse d’augmenter. De 375 tonnes de combustibles irradiés produits en France en 1982 on est passé à 1 150 tonnes en 2015. Environ deux kilos de déchets radioactifs sont produits par an et par habitant en France. À cause de leur radioactivité extrême, une partie de ces déchets présentent un risque élevé pour l’homme et l’environnement et sont placés dans des sites d’entreposage, en attendant une solution de stockage à long terme. L’enfouissement de ces déchets nucléaires, d’une durée de vie de 100 000 ans à plusieurs millions d’années, posera d’ailleurs de nombreux problèmes aux générations futures.
Étant leader dans le domaine, certains Français pensent que les entreprises, et donc l’État, sont à même de trouver des solutions. Il y a une forme de confiance dans le progrès, comme si les réponses allaient venir. Cet optimisme, que certains peuvent qualifier d’aveuglement, est entretenu par le rappel récurrent que le coût de l’électricité en France est bien moins cher que chez ses voisins.
L’Allemagne comme exemple
La catastrophe de Tchernobyl en Ukraine, en 1986, a fortement ébranlé la foi en le nucléaire. Non seulement du fait de l’accident en lui-même, mais peut-être aussi et surtout à cause de la tentative du président François Mitterrand de minimiser l’impact du nuage nucléaire, qui se serait presque miraculeusement arrêté au Rhin grâce à des vents favorables… Avec le temps, on a découvert que cela n’était pas le cas, et donc la population a commencé à s’interroger. La catastrophe de Fukushima au Japon, en 2011, qui a conduit la chancelière Angela Merkel à abandonner l’énergie nucléaire, a également provoqué un retournement de l’opinion publique. En effet, un sondage réalisé en 2018 montre pour la première fois une majorité de Français (53 %) se disant opposés à « la production d’énergie par des centrales nucléaires ».
On est toutefois encore loin d’un scénario à l’allemande, car environ 70 % des Français demandent « d’attendre la fin de vie des centrales, sous le contrôle de l’Autorité de sûreté nucléaire, quitte à ce que cela prenne plus de temps ». Seulement 28 % en souhaitent l’arrêt immédiat. L’Allemagne est souvent prise comme exemple. Mais il ne faut pas oublier qu’elle est obligée de recourir aux centrales à charbon pour accompagner sa sortie du nucléaire… Ce qui sert souvent d’argument aux pro-nucléaires.
Énergie du passé ou du futur?
La question du maintien ou de la sortie du nucléaire en France est donc très complexe. Malgré tout, la question de la transition énergétique fait désormais partie du débat public. L’opinion générale est très indécise, et les prochaines années seront décisives. Va-t-on prolonger la durée de vie des vieilles centrales, ou vat-on les démanteler?
La centrale nucléaire de Flamanville (Normandie) où un nouveau réacteur est en train d’être construit
La loi de transition énergétique pour une croissance verte de 2015 prévoit, d’ici à 2025, une réduction de la part de cette énergie. Si les objectifs sont tenus, le nucléaire ne représentera plus que 50 % de la production d’électricité cette année-là. On est encore loin du compte.
Pour le moment, malgré les discours, la France maintient le cap du nucléaire avec la construction d’un nouveau réacteur à Flamanville et de très gros investissements dans la recherche. C’est en France que sont effectuées les études autour du projet ITER (en latin « le chemin ») concernant la fusion nucléaire, par opposition à la fission actuelle, comme source d’énergie propre. Le but étant de reproduire sur Terre l’énergie illimitée qui alimente le soleil et les étoiles. 35 pays participent à ce projet dont la mise en exploitation se fera autour de 2025.
Alors, le nucléaire comme énergie du passé ou comme celle du futur? La question est encore loin d’être tranchée.
Fotos: Rob Arnold/Alamy Stock Photo; Jacques Demarthon/AFP/Getty Images. Karte: ASN, ministère de l´Écologie
Un activiste anti-nucléaire lors d’une manifestation organisée par le réseau « Sortir du nucléaire » à Paris en 2011
LES CENTRALES NUCLÉAIRES FRANÇAISES