... pour ceux qui blasphèment que de leur couper la tête », ou encore, « chiens de Français ». Ces rassemblements sont organisés par le parti Tehreek-e-Labbaik Pakistan (TLP), une ancienne secte soufie devenue un parti politique islamiste. Plusieurs policiers pakistanais perdront la vie dans des affrontements avec les manifestants. Bien que le gouvernement français conseille à ses ressortissants de quitter le pays, beaucoup de Français préfèrent rester au Pakistan, considérant que les manifestants sont minoritaires dans le pays.
Diplomate français, Daniel Jouanneau a été ambassadeur au Pakistan de 2008 à 2011. L’auteur du Dictionnaire amoureux de la diplomatie (Plon, 2019) rappelle que la France n’a pas été le seul pays à provoquer la colère de certains Pakistanais : « En 2006 et 2008, à la suite de la publication d’une caricature du prophète dans des journaux danois, des manifestants au Pakistan avaient demandé au gouvernement de rompre les relations diplomatiques avec le Danemark, et de boycotter leurs produits. » Des islamistes ont demandé la mort du dessinateur. Dans la presse française, les dessins subversifs se moquant des religions sont une tradition. Une liberté en France, mais un outrage au Pakistan. Les cultures des deux pays apparaissent opposées.
En effet, dans ce qu’on surnomme « le pays des purs », le blasphème contre la religion de Mahomet est sévèrement puni. La loi prévoit la peine de mort ou la prison à perpétuité. Certains Pakistanais décident parfois d’appliquer eux-mêmes la sentence. En 2011, le gouverneur de l’État du Pendjab, Salman Taseer, critique de la loi relative au blasphème, est tué par un adepte du mouvement barelvi (encadré page 61). Plusieurs dizaines de Pakistanais ont été assassinés alors qu’ils attendaient d’être jugés pour blasphème ou après avoir été acquittés.
La chrétienne Asia Bibi est menacée de mort pour avoir remis en question des propos prêtés à Mahomet. Elle vit désormais réfugiée au Canada. Près de 40 % des personnes accusées de blasphème au Pakistan sont issues d’une des minorités. Celles-ci ne représentent pourtant que 3 % de la population du pays.
La dégradation des relations
Le Pakistan est né de la partition des Indes britanniques. « L’objectif d’une grande Inde fédérale n’a jamais fonctionné, la minorité musulmane du pays a souhaité créer son propre État islamique, le Pakistan », explique Daniel Jouanneau. Si la culture politique en Inde est ancienne, au Pakistan les militaires et les propriétaires fonciers s’intéressent, à l’époque, peu à la politique. L’indépendance du pays n’a pas été préparée. Très vite, la religion devient l’opium du peuple.
Bien qu’il ressemble beaucoup à l’Inde, le Pakistan n’a pas atteint le niveau de développement de son voisin. Le système éducatif public est en échec, le taux d’alphabétisation faible. En 2019, selon l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), 58 % des Pakistanais âgés de 15 ans et plus étaient alphabétisés. Les enfants sont souvent scolarisés dans des écoles coraniques jusqu’à leur majorité. Ils y apprennent le Coran par cœur, en arabe, qui n’est pas la langue du pays. Sans élite intellectuelle, la classe politique est fragile. Seule force organisée, l’armée joue un rôle politique considérable. Le manque d’esprit critique et l’absence d’intelligentsia peuvent être une chance pour les gouvernements. L’opposition à l’Inde ou à certains pays occidentaux permet de masquer les problèmes sociaux du pays. Si bien qu’aujourd’hui, la France, pays des Lumières, et la République islamique du Pakistan n’arrivent plus à se comprendre.
La délicate affaire Karachi
C’est une affaire complexe et longue. Elle mêle terrorisme, argent et politique. Le 8 mai 2002, à Karachi, 14 personnes meurent dans un attentat, dont 11 Français. Ils travaillaient sur place à la construction de sous-marins français vendus au Pakistan. Au départ, la piste islamiste est privilégiée. L’attentat-suicide est attribué à Al-Qaïda. Mais très vite, les enquêteurs s’orientent vers des représailles contre la France. La raison ? Un marché d’armement avec le Pakistan aurait servi à financer la campagne présidentielle d’Édouard Balladur, en 1995. Problème : les rétrocommissions promises à des officiels pakistanais n’auraient pas été payées. Cela provoque alors la colère des Pakistanais. En 2021, la justice française relaxe l’ancien Premier ministre Édouard Balladur. L’homme politique François Léotard est condamné pour complicité d’abus de biens sociaux. Plus de 25 ans après les faits, toute la lumière n’a pas été faite sur ce scandale franco-pakistanais.
Pourtant, les liens entre Paris et Islamabad n’ont pas toujours été compliqués. « Pendant la guerre froide, le Pakistan était proche des Occidentaux, quand l’Inde préférait s’allier à l’URSS », souligne Daniel Jouanneau. Une coopération militaire se crée entre les deux pays : « Dans les années 1960, nous avons équipé l’armée pakistanaise d’avions Mirage 3 et Mirage 5. Et dans les années 1990, nous leur avons vendu des sous-marins.» Mais au même moment, des tensions apparaissent. Islamabad reproche à la France d’avoir fait marche arrière sur le nucléaire : Après avoir promis au gouvernement pakistanais de l’aider à construire une centrale nucléaire, Paris revient sur son engagement. La raison ? Le Pakistan développe un programme nucléaire militaire. Quant aux Européens, ils se rapprochent de l’Inde, l’ennemi originel du Pakistan.
Quelques années plus tard, la position de la France en matière de laïcité n’arrange pas la situation. En 2010, la presse pakistanaise s’oppose vivement à la loi française interdisant toute tenue dissimulant le visage dans l’espace public. Les caricatures de Mahomet publiées par Charlie Hebdo ont accentué un peu plus les désaccords. L’écart culturel s’est creusé. Si le divorce entre les deux États n’est, pour le moment, pas prononcé, des jours meilleurs se font attendre.
À PROPOS…
La laïcité est la séparation des cultes et de l’État, l’absence de religion d’État. Dans une conception plus stricte, elle implique que l’expression de la foi reste dans l’espace privé.